Crise du cuisinier amateur et cuisine de crise

Il y a plusieurs obstacles pour se lancer dans de nouvelles expériences culinaires. le premier et souvent le plus difficile à franchir, est formé de la somme des a priori que l’on a sur la cuisine : la peur que ce soit long, la peur que ce soit coûteux, la peur de rater. En respectant quelques règles simples, on rate en fait assez peu de recettes. Question temps, en 15 à 20mn chrono on peut préparer un super repas. Bien sûr il y a des plats qui demandent plus de temps et de préparation, mais personne ne vous oblige à les faire si vous n’en avez pas envie ce jour-là !

Le deuxième obstacle c’est la difficulté d’imaginer le goût d’un plat avant de l’avoir goûté. C’est pourquoi on a beau compulser les livres de cuisine, certaines recettes pourtant délicieuses ne se détachent pas plus du lot que les autres. Un jour, on ne sait pourquoi, c’est cette recette qui vous tape dans l’oeil et là, joie ! C’est une merveille ! On aurait tort de croire d’ailleurs que bonne recette = difficulté. Il existe de nombreuses recettes délicieuses, extrêmement simples, et qu’un enfant de 12 ans peut faire sans problème.

Qu’on se le dise, un enfant est capable de faire cuire un homard, à la condition de suivre la recette et de savoir lire une pendule ! Pourtant on associe le homard à la « grande cuisine » et aux cuisiniers prestigieux, à cause tout simplement du prix des denrées.
Il est plus prestigieux de préparer du homard plutôt que des bigorneaux par exemple, et pourtant les bigorneaux sont délicieux, et le jour où il n’y en aura plus je vous parie qu’ils atteindront des prix astronomiques.
Ce qui est amusant dans tout ça c’est que de nombreux plats « de riches » ont été pendant longtemps des plats de pauvres : voilà deux siècles le saumon sauvage était tellement abondant dans la Loire que les domestiques ajoutèrent au cahier de doléances de la ville de Nantes, en 1789, qu’ils demandaient à ne pas en manger plus de trois fois par semaine !
La caviar qui est synonyme de luxe absolu, ne l’a pas toujours été : au début du XXè siècle, les esturgeons abondaient dans la Gironde, et s’ils étaient pêchés pour leur chair, c’étaient les cochons qui, paraît-il, mangeaient leurs oeufs dont personne ne se préoccupait. Il en va de même pour la poutargue, des oeufs de mulet ou de thon salés et séchés qui coûtent à peu près 120€ le kg, qui sont à la base une nourriture de pauvres qui recyclaient ainsi les oeufs qu’ils ne pouvaient pas vendre avec leur poisson.
D’ailleurs la plupart des oeufs de poisson sont consommables alors qu’on les jette en vidant le poisson, faute de le savoir.
En Espagne on mange même les tripes de thon. Combien de temps faudra-t-il pour que les tripes de thon deviennent un mets ultra-branché et confidentiel et qui se négociera à prix d’or ?
La bouillabaisse et la cotriade sont des pauvres soupes de pêcheurs, faites avec les poissons n’ayant pas de valeur marchande, la « godaille » rapportée à la maison pour le souper. Les civelles, ces alevins d’anguille qui étaient un aliment populaire et bon marché il y a encore 30 ans, sont devenues hors de prix depuis qu’elles ont quasiment disparu. On les trouve en saison à 300 € le kg. Pourtant elles ne sont pas meilleures aujourd’hui qu’il y a 40 ans, quand mon grand-père en pêchait des seaux entiers dans la Loire avec un simple tamis de 80cm de diamètre prolongé par un manche de 2m !
Le bar dont on fait tout un plat aujourd’hui n’était pas spécialement apprécié il y a 50 ans, c’était le lieu qui tenait le haut du pavé. La morue qui était un poisson de pauvre arrive aujourd’hui à presque 20 € pour les plus beaux morceaux, un prix comparable à celui du bar de ligne. Les produits de la mer étant extrêmement variés,et la pêche aléatoire, c’est sur eux qu’on constate le plus de volatilité des prix, jusqu’à l’absurde, au gré des modes et de la raréfaction du produit.
Il existe également des variations de prix importantes liées à des habitudes de consommation et des coutumes locales. Ainsi, la carpe ou le silure, dont on ne fait pas grand cas chez nous, sont très estimés en europe de l’Est. La dinde de Noël est remplacée en Espagne par la daurade de Noël, et toute famille se doit d’en avoir une, à n’importe quel prix. Au Japon les oeufs de hareng, que l’on ne consomme plus guère ici sont très estimés (on les appelle croissants d’or). Les Grecs et les Espagnols sont de fervents adorateurs du poulpe (et on les comprend) alors qu’en France on s’imagine que le poulpe est caoutchouteux et sans intérêt gustatif.
Les cèpes et les giroles, dont on raffole en France, ne sont pas consommés dans le Maghreb, ni au Royaume-Uni, où l’on peut voir en saison de véritables tapis compacts de champignons, qui plongeraient nos amateurs locaux dans l’extase.

En fait chaque produit naturel a une valeur gustative qui fort heureusement n’est pas toujours en relation avec sa valeur marchande. Ce n’est pas le cas pour les produits industriels, dont le prix bas indique à coup sûr la mauvaise qualité. Il faut donc essayer d’exploiter ce différentiel pour manger moins cher sans manger moins bon. La découverte des cuisines étrangères est donc intéressante non seulement pour le plaisir de découvrir des recettes exotiques, mais également pour apprendre à préparer des produits insuffisamment valorisés chez nous, et de ce fait disponibles à (relativement) bas prix.
Un bon exemple pour commencer est d’observer le statut que l’on réserve en France aux légumes. Ces produits délicieux (quand ils sont de bonne qualité) ne sont considérés chez nous que comme le vague accompagnement d’une viande ou d’un poisson, un alibi contre le choléstérol que l’on mange en tordant du nez, en regrettant de n’avoir pas commandé des frites. Il est vrai qu’il faut une vraie force de caractère pour oser cuisiner des choux-fleurs ou des haricots verts après en avoir goûté dans une cantine scolaire ou un self-service d’entreprise.
Il suffit en fait de se dire qu’il ne s’agit pas du même produit. Traitez les légumes avec amour et ils vous le rendront : petits artichauts farcis au parmesan, soupe de légumes frais moulinés, aubergines ou poivrons grillés et marinés à l’huile d’olive,pousses d’épinards sautées avec des pignons et des oignons dorés, les légumes bien préparés, comme on le fait notamment dans tout le bassin méditerranéen sont un régal, un mets exquis et précieux qui n’a besoin ni de viande ni de poisson pour s’inviter à la table.

La prochaine fois les recettes !

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2 thoughts on “Crise du cuisinier amateur et cuisine de crise

  1. Merci pour ce blog, il est super…normal, je partage toutes tes idées!!!!!
    Je ne connais pas la Tavola mais c’est certain, se sera mon prochain resto.
    J’avais également envie d’écrire un mot au sujet du magasin libanais, le Spar. Tu le fréquentes toujours? Il y a de moins en moins de choses en sous- sol justement, je suis un peu déçue. Je me demande toujours si je dois y retourner..
    A part ça il y a un autre magasin asiatique, route de Vannes,il marchait très bien puis la personne qui s’en occupait est partie , 2 ans, j’y trouvais notamment du Mérou congelé pour faire du couscous au poisson. A suivre,…. il est normalement moins cher qu’au Bouffay.
    C’est super sympa de mettre des renseignements pour tous
    Merci @++++
    Joêlle

    1. Salut Stretto et merci 🙂 Ca fait un moment que je ne suis pas allé au Spar car j’ai trouvé de la pâte de sésame chez les Chinois et du coup ça ne vaut plus le coup d’y aller ! En plus leurs horaires d’ouvertures sont bizarres…
      Je vois le magasin route de Vannes, j’y suis allé de temps en temps mais habitant à Nantes côté Rezé c’est plus rapide pour moi d’aller au Bouffay… Ils ont aussi souvent du tiof (mérou africain congelé) au Bouffay. J’ai découvert aussi récemment le magasin plus petit qui est à côté du chinois au Bouffay, et ils ont d’autres produits asiatiques intéressants, notamment des spécialités Laotiennes ou Thaï, comme les feuilles d’arbres ou de plantes qui se mangent crues en condiments. Il faut venir le mercredi matin c’est le jour où ils sont livrés.

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